Message de Bernard Maitte du 10/12
LRU – Thème 1
Contribution de Bernard Maitte
Dans l’enseignement supérieur français coexistent des filières courtes sélectives (Grandes Ecoles, Ecoles d’Ingénieurs, IUT) professionnalisées, des filières longues sélectives professionnalisées (Universités de Médecine et de Droit) et des filières longues non sélectives conduisant à la recherche (Universités des Sciences et des Lettres). Dans un conteste où le baccalauréat, premier grade de l’Enseignement Supérieur, est devenu le diplôme de fin d’études secondaires obtenu par une grande masse de lycéens (l’objectif visé est quantitatif plus que qualitatif), les Universités des Sciences et des Lettres n’ont pas pu s’adapter à la gestion de grands flux. Elles comprennent, comme le souligne le rapport Goulard, les meilleurs enseignants et les moins bons étudiants.
La LRU est une loi qui ne se caractérise pas par le courage politique :
elle ne traite pas du contenu des études secondaires, de la définition des pré-requis indispensables à l’entrée dans l’enseignement supérieur, de la nécessaire définition de filières adaptées à la motivation, la compréhension, la capacité des lycéens. L’égalité (le droit aux études) n’est pas à confondre avec l’identité (tous les élèves ont le même niveau, le même potentiel, le même niveau social).
elle laisse subsister la dualité filières courtes sélectives professionnalisées et filières longues non professionnalisées, ce qui oriente statistiquement les moins bons étudiants vers celles-ci, les seules à mener à la recherche.
La LRU est une loi dangereuse pour le développement de la recherche fondamentale
le pilotage par l’aval (les applications recherchées), les contrats à courte durée, l’évaluation par des experts nommés, la précarisation des jeunes chercheurs incitent à ne privilégier que la recherche finalisée. Or une telle recherche, comme toute recherche « à la mode », est une recherche du passé. Elle s’appuie sur des résultats théoriques obtenus précédemment. Ces résultats théoriques ont très souvent été obtenus de manière inattendue, ne portent pas application immédiate, supposent le temps, la fréquentation des « voies de traverses » incertaines. La recherche fondamentale nécessite un investissement qui peut être improductif. Qui pensait que le « calcul à l’envers » effectué par Planck (1900) pour rendre compte de l’émission du corps noir aménerait la Quantique, sur laquelle reposent beaucoup de développements technologiques actuels ? Les crépiteurs de Hertz (1885), destinés mettre à l’épreuve les équations théoriques de Maxwell, amenèrent radio et télévision un demi siècle plus tard. Edison et Adler en faisant vibrer une peau sous l’action d’un courant modulé ne pensaient pas inventer le téléphone. Le dénombrement des groupes de symétrie (1875), effectué « par jeu » ne trouva d’application qu’avec le développement de la cristallographie (1925). Frédéric et Irène Joliot-Curie, découvrant la radioactivité artificielle pensaient avoir mis en évidence une bizarrerie. Et que dire du manque d’application de la Relativité générale ? Nous pourrions multiplier les exemples. La recherche se doit de poser de nouvelle questions et non seulement apporter des réponses aux questions posées.
Par contre la LRU vient s’adapter à une situation : celle de l’absence endémique de recherche dans les entreprises françaises. Elle met à disposition de celles-ci, à courte vue, le potentiel, humain et matériel, de recherche universitaire … dans le temps même où le capitalisme industriel fait place au capitalisme financier, qui détruit les entreprises pour augmenter les profits des dirigeants, des actionnaires et les fonds de pension. Ne faut-il pas réglementer ceux-ci et obliger à l’investissement du privé pour le privé que de mettre à la disposition de capitaines d’industrie incompétents le potentiel public ?
La LRU prend aussi pour modèle les Etats-Unis d’Amérique, mais un modèle non compris de nos technocrates puisque la recherche des USA vit grâce au recrutement mondial de ses chercheurs et grâce à la « prise de risque » en recherche fondamentale effectuée par les pays tiers.
La LRU précarise encore plus qu’actuellement les titulaires de thèse : alors que les chercheurs de ma génération étaient recrutés à 23 ans en moyenne, les actuels vers 30 ans, la LRU précarise les bac+7 en leur offrant des CDD. Faut-il rappeler que la majorité des découvertes fondamentales ont été faites par des savants de moins de 28 ans … et que, déjà, la recherche souffre de l’individualisme dû à la précarité des chercheurs ?
La LRU est une loi anti-humaniste
Elle est démagogique car elle dit vouloir former des étudiants « utiles » à une époque où le manque de débouchés, les délocalisations, le chômage caractérisent notre pays, non par manque de techniciens ou d’ingénieurs, mais par manque d’initiative industrielle.
L’enseignement primaire, secondaire et supérieur doivent former des hommes capables de penser, de raisonner, de se situer dans un contexte changeant, de savoir d’où ils viennent, afin de pouvoir choisir leur présent et d’inventer l’avenir. Ils doivent montrer que la science est une pensée vivante qui porte en elle-même sa propre capacité de contestation : le recours à l’expérience. Cette mission humaniste doit être celle de l’Etat Régalien. Vouloir s’adapter au privé c’est vouloir développer non l’éducation mais un dressage particulier. C’est pourquoi le LRU privatise, détruisant les ambitions culturelles qui doivent être celles de l’enseignement supérieur et de la recherche.
Cette réforme « utilitariste » et voulant adapter recherche et formation aux débouchés immédiat porte en germe la disparition des sciences humaines.
. Réformer l’Université et la Recherche actuelles
La critique qui précède montre que l’Université et la Recherche doivent évoluer profondément, non sur le seul plan des moyens, mais surtout des contenus et des structures.
Le système universitaire devrait supprimer la dichotomie soulignée au premier paragraphe entre filières courtes sélectives et longues non sélectives, offrir des filières différentiées, contribuer à forger un humanisme de notre temps, faisant entrer la culture dans les sciences et les sciences dans la culture.
La recherche française doit s’articuler entre les Universités et les grands organismes, permettre aux chercheurs d’être, selon leurs choix, leurs motivations, la période de leur vie, diffuseurs de sciences, enseignants, chercheurs, administrateurs, sans que cette dernière fonction devienne un métier sans retour où s’engouffrent ceux qui ne cherchent plus ( sinon des places) et n’enseignent plus.
On ne fait pas de recherche sans avoir « plusieurs fers au feu ». La coexistence de recherche désintéressée, pour le plaisir, et celle « à la mode » dans des programmes thématiques doit être favorisée.
Malgré les sommes investies dans ces domaines, on ne voit guère d’avancée significative dans le domaine du cancer, de la myopathie… Il ne suffit pas de décréter que telle ou telle cause est nationale pour la résoudre. La solution vient souvent de directions qui surprennent et restent « hors programmes ».
L’évaluation à mettre en place doit privilégier le long terme et le a posteriori et non l’ a priori. Or c’est la première que l’on ne sait pas faire.
Réfléchir à ces pistes – et à d’autres – nécessite un débat citoyen, mise ne place de « groupe de dissensus » où les participants posent d’abord tous les problèmes auxquels ils pensent et les solutions qu’ils envisagent. Ce n’est que par une mobilisation générale et la mise en synergie de toutes les idées que la réforme nécessaire peut émerger, non du chapeau de quelques technocrates étendant aux domaines de la recherche et de l’enseignement les recettes qui se révèlent mauvaises dans le domaine de l’économie.
Lille, le 8 décembre 2007